Arras 27.09.1876 – Arras 01.05.1944. Courtier, industriel, rédacteur en chef du Courrier du Pas-de-Calais.

Élu le 4 juillet 1941 pour succéder au pasteur Pierre Lestringant sur le 24e fauteuil. Il est remplacé en 1944 par François François d'Argoeuves, président du tribunal civil.

Il est le fils de Pierre Guislain Joseph Sallon, employé de préfecture, et d’Hélène Béalle.

Il fait de bonnes études au petit séminaire, puis à l’Institution Saint-Joseph à Arras. De santé très précaire, il est déclaré inapte au service lors du conseil de révision de sa classe 1896. Il est maintenu exempté en 1914.

Il commence sa carrière professionnelle modestement comme employé de commerce, s’initiant aux opérations de courtage chez Alphonse Tillier à Arras.

Antidreyfusard, il fait partie des 25 000 donateurs de la souscription lancée en décembre 1898 par la Libre Parole d’Édouard Drumont. L’argent collecté doit servir à donner à la veuve du lieutenant-colonel Henry, auteur des faux accablant Dreyfus, les moyens de poursuivre en diffamation Joseph Reinach qui avait dénoncé l’infamie dans Le Siècle. En même temps, il devient un membre actif de la section d’Arras de l’Association de la Jeunesse catholique française (A.C.J.F.) Il en est vice-président au tournant du siècle. À ce titre, il contribue directement à l’organisation d’un Congrès national organisé à Arras en 1904 et consacré à « la Mutualité ». Il est l’un des principaux animateurs des « conférences » (cours du soir) créées par le père Halluin au profit des orphelins apprentis. Ces engagements où il révèle à la fois son ardeur et la vivacité de son esprit, lui donnent une assurance dont il tire profit dans sa carrière professionnelle.

Il s’installe courtier à son compte, et intervient dans de nombreuses opérations commerciales et industrielles, souvent en lien avec l’agriculture, dont les annonces judiciaires et légales gardent la trace. Ainsi, en 1907, il est administrateur de la société de Dierville à Bucquoy ; le 30 juin 1913, il crée la société anonyme « Engrais d’Arras ». Avec ses amis de l’A.C.J.F., Marc Scaillierez (maire de Feuchy depuis 1908), Paul Tierny et Maurice Tailliandier, il fonde une « Société d’études », embryon d’une organisation syndicale agricole d’inspiration catholique, prémices de la Fédération agricole du Pas-de-Calais qui verra le jour en 1919.

À côté de ses activités professionnelles, il se passionne pour la musique, les beaux-arts, l’histoire, et s’engage par la plume dans plusieurs journaux de la presse catholique conservatrice locale. Il collabore à La Croix d’Arras, écrit pour La République libérale de Louis Blondel et Félix Gheerbrandt qui soutient les candidats républicains modérés aux élections de 1893. Le Courrier-du-Pas-de-Calais et L’Artésien, plus nationaliste, lui donnent aussi l’occasion de s’exprimer. C’est dans ce dernier qu’il soutient la candidature du baron Dard, fondateur et premier président de l’A.C.J.F. du Pas-de-Calais, aux législatives d’avril 1902, dans la circonscription de Lillers, contre le socialiste Achille Fanien.

La guerre lui permet de jouer un rôle plus important. Quand Paul Deron, rédacteur en chef du Courrier-du-Pas-de-Calais est mobilisé en août 1914, Maurice Sallon, non mobilisable, est choisi pour le remplacer. L’expérience tourne court : le 17 octobre 1914, le Courrier cesse de paraître après les bombardements qui détruisent son siège et ses presses.

Comme la plupart des habitants d’Arras, Maurice Sallon quitte alors la ville. Après un passage par Berck-Plage, refuge de nombreuses familles arrageoises, il s’installe à Paris. Il y reprend ses opérations de courtage et la production d’engrais dans une usine à Drancy. En lien avec la famille Guerrin, fondatrice du Lion d’Arras en 1916, il participe aux débats qui agitent déjà les milieux économiques artésiens à propos de la future reconstruction d’Arras et de ses industries. Il préside en 1919 un congrès commercial des Régions libérées. En mai 1919, il transforme son entreprise « SA Engrais d’Arras » en une « Société Maurice Sallon et Cie, engrais et produits agricoles à Drancy et Arras ».

Il se marie à Paris où se trouvent une partie de ses bureaux. Il épouse, le 28 juin 1921, Louise Tillier, fille de son premier employeur qui l’avait initié au courtage. Son acte de mariage le qualifie « industriel ». Son vieil ami Marc Scaillierez est son témoin.

Ses activités de courtier l’amènent à acheter et vendre des titres de dommages de guerre. Une annonce légale le présente, en novembre 1921, comme « industriel » à Arras, et « administrateur » de la Banque Populaire des Régions Libérées et une autre, en octobre 1922, « président » de la Banque Populaire. De quelle banque populaire s’agit-il ? La loi Clémentel du 13 mars 1917 avait créé les banques populaires destinées à distribuer le crédit à court terme. En 1919, avait été voté un crédit de 50 millions pour aider les petits commerçants, industriels, fabricants et artisans touchés par la guerre et démobilisés. Les banques populaires allaient jouer un rôle dans l’attribution de ce crédit. La Banque Populaire des Régions Libérées est ainsi autorisée à Paris le 15 septembre 1920. Elle a des agences dans plusieurs départements dont pour celui du Pas-de-Calais, à Arras et Béthune. C’est de toutes les banques populaires alors créées, la plus richement dotée. Il est probable que les fonds gérés par cette banque aient été utiles à Maurice Sallon pour restaurer son entreprise de fabrication d’engrais. Il dissout sa « Société Maurice Sallon et Cie » et réinvestit dans la « SA Société de l’Artois, produits chimiques, engrais, (S.A.P.E.) », sise à Feuchy, qu’il crée le 16 mai 1923 avec Alexandre, Paul et Auguste Crespel. Les Crespel apportent 65 % du capital, Maurice Sallon, outre son expertise, 6.5%. Les autres actionnaires sont la famille des Rotours (15%), le comte d’Hespel (10 %) et Marc Scaillierez qui fournit les terrains (4.5%). Au fil du temps, cette entreprise changera de mains et de nom, mais elle existe toujours cent ans plus tard.

On le trouve encore président de la commission de surveillance de la Laiterie coopérative de Verton créée en 1930 à l’initiative du curé de la commune.

Son état de santé l’oblige à prendre du recul. Après un séjour dans le midi, il revient à Arras en 1933.

La guerre, pour la seconde fois, le ramène au journalisme. Il a fui vainement devant l’avance allemande en mai 1940. À son retour, après l’armistice, l’évêque d’Arras, Mgr Dutoit et le chancelier Édouard Maréchal le pressent de revenir au Courrier du Pas-de-Calais dont l’évêché est l’actionnaire majoritaire. Le journal a cessé de paraître le 19 mai 1940. Il n’a plus de rédacteur en chef : Georges Lequette qui le dirigeait depuis 1922, auteur de violents éditoriaux antinazis depuis le début de la guerre, doit se cacher pour échapper à la vindicte des vainqueurs. Le matériel d’imprimerie risque d’être pillé par l’occupant si le journal ne reparaît pas rapidement. Maurice Sallon accepte ce poste dangereux par devoir. Le chanoine Maréchal écrira au lendemain de son décès : « Sa finesse, son esprit délié, sa préoccupation de la vie arrageoise, son sens des réalités [l’avaient désigné] pour ce poste dans des circonstances rendant la tâche difficile ». Au fil du temps et des exigences croissantes des autorités d’occupation, il essaye de cantonner les communiqués et commentaires imposées par la Propaganda Staffel à la première page du quotidien, apportant un soin particulier aux informations locales attendues par ses lecteurs, développées en deuxième page.

Il était conscient de l’ambiguïté de sa position. Sa mort en mai 1944 lui évite d’avoir à rendre des comptes à la Libération.

Il est admis en 1941 dans une Académie dont la Kommandatur autorise les réunions à la condition qu’il n’y soit pas question de politique. Privée de séances publiques, elle fonctionne en cénacle et maintient le rythme de ses réunions mensuelles, même aux moments les plus tragiques de l’année 1944. Audacieusement, elle aborde essentiellement des thèmes d’actualité que les orateurs s’efforcent d’analyser et d’éclairer. Maurice Sallon y retrouve des personnalités qu’il connait bien et à qui il ouvre largement les colonnes culturelles de la deuxième page du Courrier pour qu’il y ait dans son journal « autre chose » que la guerre. Il donne à l’Académie, le 22 mars 1942, une communication critique sur « le Projet de réorganisation de la province de Picardie dans laquelle serait intégrée une grande partie du Pas-de-Calais ».

Sources

État civil : naissance, 5 MIR 041/41, p. 26/1309 ; mariage, AD 75, 1921, 06, 6 M 250, p. 24/31 ; naissance de son épouse, AD62, 5 MIR 041/41, p 203/1309.

À la voile, (bulletin des jeunes du Sillon), 15 avril et 15 décembre 1899.

La libre parole, liste des souscripteurs, 23 décembre 1898,

Bulletin des annonces légales obligatoires à la charge des sociétés financières, 30 juin 1913

Le Lion d’Arras, 15 mars 1916, 19 juin 1918

La Journée industrielle, 23 mars 1919

Le Beffroi d’Arras, 1er mai 1919, 26 octobre 1922, 8 août 1923, 24 novembre 1924, 28 mars 1924, 8 juin 1924, 16 janvier 1925.

La Libre Parole, 10 avril 1920,

La Journée industrielle, organe quotidien de l’industrie et du commerce, 31 mai 1923.

Annuaire industriel, répertoire analytique général de l’industrie, 1925.

Activités commerciales de la France : journal hebdomadaire, 9 juillet 1926.

Courrier du Pas-de-Calais, 2 et 5 mai 1944.

D’ARGOEUVES François, « In Mémoriam » Maurice Sallon, éloge funèbre lu le 17 novembre 1944, Archives de l’Académie, boite E communications 1854-1955.

HILAIRE Yves-Marie, Une chrétienté au XIXe siècle ? La vie religieuse des populations du diocèse d’Arras (1840-1914), 1977.

ALLART Marie-Christine, « Agriculture et catholicisme : le syndicat agricole confessionnel », in Dictionnaire du monde religieux dans le France contemporaine, p. 566-568, 2013.

VISSE Jean-Paul, « La presse du Nord-Pas-de-Calais pendant l’Occupation, Le cas du Courrier du Pas-de-Calais », L’Abeille, Journal de la Société des amis de Panckouke, septembre 2013, n° 24, p. 7-14.

Michel Beirnaert

  

Annexe

Extrait de l’éloge funèbre de Maurice Sallon par François d’Argoeuves, qui lui succède sur le 24e fauteuil, lu en séance de l’Académie le 17 novembre 1944.

... « Au lendemain du tragique exode de juin 1940, aux premières semaines de la douloureuse occupation d’un ennemi sans pitié comme sans loi, Maurice Sallon retourna au Courrier du Pas-de-Calais. La nécessité de faire paraître un journal se révélait impérieuse devant les exigences allemandes ; une haute autorité spirituelle [Mgr Dutoit ?] lui présenta comme un devoir l’obligation de faire paraître coûte que coûte le vieux journal interrompu depuis les tragiques journées de mai précédent.

Maurice Sallon avait d’autant plus de mérite à accepter cette très lourde tâche que sa santé était toujours précaire et il devait prendre mille précautions pour continuer ce qu’il appelait toujours avec humour « son rabiot ».

Nous qui avons vécu ces longues journées d’occupation sous la botte hitlérienne nous savons que c’était là pour lui un grand sacrifice !  Nous pouvons mesurer ce qui devait en coûter à son caractère fier et indépendant obligé de se plier chaque jour devant les exigences implacables de la censure nazie.

Tenir une plume et ne pouvoir s’en servir à sa guise ! Ne pas dire ce qu’il savait, ce qu’il pensait, masquer sa foi en la victoire de nos armes contre la plus hideuse des barbaries, n’était-ce pas la plus terrible épreuve pour un esprit aussi délicat et aussi éclairé que le sien ?

Ainsi, en dépit de son mauvais état de santé, malgré le régime de terreur que faisait peser sur lui et autour de lui un ennemi à la fois tracassier et brutal, dépourvu de tout scrupule, Maurice Sallon s’efforça de maintenir coûte que coûte le vieux journal qui lui était confié ! Je ne crois pas qu’une seule personne dans notre ville ait pu lui envier ce poste si dangereux !

La deuxième page du Courrier était la seule qui l’intéressait ; le reste se composait de communiqués et commentaires de la Presse vendue aux Nazis ; encore Maurice Sallon s’ingéniait-il parfois à en raccourcir le texte en insérant dans ses colonnes la reproduction des clichés du « Sipho » … On s’est souvent demandé l’intérêt qu’il y avait à mettre dans le journal ces photographies nébuleuses, parfois grotesques, souvent incompréhensibles… C’était autant de lignes prises sur la prose dictée par l’ennemi.

Le rôle ingrat qu’il assumait et que personne ne lui jalousait ne pouvait manquer de lui attirer de vives critiques ; il en était très affecté mais n’en continuait pas moins à se maintenir à son poste ! Sa seule consolation était de s’entendre dire « qu’il y avait dans son journal autre chose que la guerre » ! Sous le régime du militarisme le plus abject il s’ingéniait à faire évader ses lecteurs des calamités présentes en rendant plus attrayant le peu de place que laissait dans ses colonnes la littérature ennemie ». Il apportait un soin tout particulier à renseigner ses lecteurs sur les mesures prises pour le ravitaillement et rendait ainsi de grands services. Cette partie seule du journal était réservée en réalité à la clientèle du journal… le reste, les commentaires à la louange de la Wehrmacht n’était destiné qu’à satisfaire les exigences de la Kommandantur !

Telle fut la fonction qu’il continua à assumer au Courrier durant ces atroces années d’occupation. Il reconnaissait d’ailleurs dans les conversations privées qu’il se sacrifia en restant à son poste ». ...

(Archives de l'Académie d'Arras).