Pierre-Dominique MARTIN
Pierre-Dominique MARTIN

Toulouse (paroisse Saint-Étienne) (Haute-Garonne) 11.09.1771 - Rions (Gironde) 11.05.1855. Ancien membre de l’expédition d’Égypte, membre de la Commission des sciences et arts d’Égypte, ingénieur des ponts et chaussées du Pas-de-Calais.

Il fait partie des onze premiers nouveaux académiciens nommés par le préfet Louis Malouet, le 7 mai 1817 pour reconstituer l’Académie, à charge pour eux d’élire ensuite les membres suivants. Il est installé sur le 3e fauteuil occupé avant la Révolution par le receveur général Louis Cauwet de Baly. Il est le premier secrétaire général de l’Académie reconstituée. Il quitte l’Académie après sa nomination dans la Gironde en 1821. Il est alors remplacé par l’abbé Alexandre Herbet, professeur de philosophie au collège.

Intelligent et actif, sa vie est une suite d’aventures dont il a donné lui-même le récit.

Il est le fils de Jean François Martin et de Gabrielle Françoise Savy, Son père, maître-bijoutier, marchand miroitier, franc-maçon et vénérable de la loge de La Parfaite Amitié, initia Jean-Baptiste Courtalon qui allait devenir plus tard le mentor de son fils à Arras.

En octobre 1788 (à 17 ans), Pierre Dominique Martin entre à l’école du génie des États du Languedoc, et y reste jusqu’en 1790. Après quoi, attiré par la grande ville, mais sans moyens, il gagne Paris où il vivote avant d’entrer à la nouvelle École des Ponts et Chaussées, créée en 1791 par la fusion des anciennes écoles de province. Il y est admis en tant qu’« ancien élève de l’école des États du Languedoc n’ayant pas obtenu le grade d’ingénieur ». Il y reçoit en même temps la charge de répétiteur de mathématiques. Il n’a pas le temps d’y achever ses études : en septembre 1792, après la prise de Verdun par les Prussiens, il est affecté comme ingénieur chargé par le gouvernement d’organiser à la hâte un camp retranché autour de Paris pour parer à une invasion prussienne. Le danger passé, il refuse son intégration dans le corps du génie de l’armée avec le grade de capitaine de 1ère classe, pour éviter d’être envoyé à Toulouse. Il a en effet le projet de se marier, et il épouse à Paris, le 5 frimaire an II, (25 novembre1793), Françoise Marie Bron, fille de Pierre Bron et de Marie Anne Perrinet. En pleine Terreur révolutionnaire, le mariage n’est pas célébré religieusement. Le couple aura six enfants, dont deux seulement atteindront l’âge adulte. Sa belle-mère obtient pour lui, par relations, à la fin de l’année 1793, un brevet d’ingénieur des ponts et chaussées de la République. Cette validation de sa formation ne met pas un terme à ses errances.

Nommé à Amiens, il ne s’y plaît pas et déserte son poste. Il est alors affecté à Soissons. C’est là que naît, le 2 thermidor an II (20 juillet 1794), son fils François Marie Émile. (Ce fils, appelé à un bel avenir, deviendra polytechnicien, ingénieur des ponts et chaussées, puis directeur de la Compagnie des Forges de Fourchambault où il inventera le procédé « Martin » de fabrication de l’acier). Il reste à Soissons jusqu’à son affectation à la commission scientifique de l’expédition d’Égypte.

Arrivé au Caire le 22 septembre 1798, il travaille d’abord dans la région d’Alexandrie où il rédige, en décembre 1799, une Notice sur un grand monument souterrain, à l’ouest de la ville d’Alexandrie. Il est ensuite envoyé à Béni-Souef, à une centaine de km au sud du Caire, sur la rive droite du Nil où il arrive le 14 juillet 1800. De là, et pendant plus de six mois, jusqu’à son retour en France, il explore la riche région agricole du Fayoum. Il en reste sa Description hydrographique des provinces de Béni-Souef et du Fayoum dans la monumentale Description de l’Égypte, publiée en 1809. Il fera aussi œuvre de mémorialiste en publiant, à son compte, un peu plus tard, en 1815, une Histoire de l’expédition française en Égypte pendant les années 1798, 1799 1800 et 1801 en deux tomes.

À son retour en France en 1801 il réintègre le corps des ponts et chaussées qu’il ne quitte plus jusqu’à sa retraite le 1er novembre 1830. Nommé à Pontoise, il fait exécuter une grande arche de pont sur l’Oise, plusieurs rectifications de routes, un canal de navigation de l’Oise à la Seine. On retient surtout qu’il y manifeste une fois encore son indépendance d’esprit en osant dresser procès-verbal à l’encontre du comte Mathieu Molé, futur directeur général des ponts et chaussées (1809-1813) qui avait fait abattre, sans son autorisation, des arbres sur la route de Paris à Beauvais. A postériori, Martin y verra la cause de la stagnation de sa carrière. Obligé de quitter Pontoise, il est nommé à Arras le 1er avril 1810. Entre temps, il s’est brouillé avec sa femme et s’en est séparé. Elle reste à Paris où elle tient une loterie.

Arrivé seul à Arras, il se retrouve sous les ordres de Jean-Baptiste Courtalon qu’il avait connu à Toulouse et qu’il côtoie au sein de la loge l’Amitié. Ils font partie tous deux de cette poignée d’ingénieurs venus d’ailleurs, cadres administratifs du département, qui vont assurer la continuité de l’État à travers les changements de régime en 1814 et 1815 (fin de l’Empire, invasion étrangère, première Restauration, Cent-Jours, seconde Restauration et réaction royaliste), alors que valsent militaires de haut rang, préfets, conseillers de préfecture, maires et députés. Incomplètement intégrés dans la société locale, ils se retrouvent entre eux et fréquentent parfois la même loge.

Pendant les dix années qu’il passe à Arras (1810-1820), Martin œuvre pour son service : il aménage ou construit deux ponts, termine la route royale d’Arras à Cambrai, rectifie et assure la navigation sur la Scarpe d’Arras à Brebières et rédige un projet de canalisation de la Canche. À titre personnel, c’est l’époque où il publie son Histoire de l’Expédition d’Égypte.

Son séjour à Arras est également marqué par un tournant dans sa vie familiale. Il est tombé sous le charme d’une jeune fille, Pauline Bacler, fille de Maurice Bacler, directeur de la Poste aux lettres et d’Adelaïde Chauvin, « receveur » de la Loterie royale d’Arras. Immédiatement après avoir obtenu le divorce d’avec sa première épouse, le 27 juin 1815, Martin épouse Pauline le 12 juillet 1815. Le contexte est particulier. Napoléon vient d’être chassé une seconde fois (22 juin) et, avec lui, ceux qui s’étaient ralliés ; Louis XVIII est rentré à Paris depuis moins d’une semaine (8 juillet) et partout l’ordre « légitime » est restauré. L’acte est audacieux aux yeux de la bonne société arrageoise : un homme d’âge mûr (quarante-quatre ans), divorcé, qui se remarie avec une jeunette de dix-neuf ans, et, en outre, franc-maçon. Le mariage est célébré entre « Frères » par l’adjoint au maire, Bon Joseph Lallart et les témoins Jean-Baptiste Courtalon et Abdon Garnier, ingénieur des Mines ; les témoins de la mariée sont Alexis Hallette, qualifié « inspecteur des bâtiments civils » et Jean-Pierre Delabrosse, propriétaire. [Notons que le père de la mariée, Maurice Bacler est le cousin paternel d’Alexis Hallette ; il avait été témoin de son mariage le 2 septembre 1812, ainsi que de la naissance de sa première fille le 25 juin 1813]. Le mariage religieux (canoniquement possible puisque le premier mariage n’avait été que civil), à défaut d’être célébré à la cathédrale d’Arras où le dossier a été constitué, est célébré en toute discrétion dans la petite église de Saint-Laurent-lez-Arras. Notons que le célébrant est dom Augustin Hallette (François Joseph Trophime), ancien moine de Saint-Vaast, secrétaire général de l’évêché jusqu’en 1806, et depuis, desservant de Saint-Laurent et Blangy, apparenté à Maurice Bacler et à Alexis Hallette. Notons encore que cinq témoins supplémentaires, dont l’architecte en chef des bâtiments civils, Charles Letombe, signent l’acte du mariage religieux.

Le couple aura quatre enfants. L’aîné, Armand Paul Joseph, sera lui aussi polytechnicien et ingénieur des ponts et chaussée.

Si on en croit le dossier administratif de Martin, son mariage est la cause d’un nouveau pas de côté : pour « assurer une honnête aisance à sa jeune femme », il ne peut s’empêcher de « se livrer à des spéculations singulières et à des entreprises qui ne s’accordent nullement avec l’esprit de l’institution honorable des Ponts et Chaussées ». Il avait en effet investi à titre privé dans la mise en œuvre de machines nouvelles à rouir le lin. Il y fait allusion au sein de l’Académie dans son Rapport des travaux de l’année 1819, (MAA, 1ère série, t. II (1819), p. 7-8) en présentant la « belle machine pour teiller et adoucir le lin de Mr Christian » qu’il a lui-même expérimentée. Son discours laisse à penser qu’il ne faisait que mettre en pratique le projet de l’Académie de contribuer à l’essor économique par l’invention de techniques nouvelles. Il oubliait que se lancer dans les affaires privées était incompatible avec son statut d’ingénieur public. Il n’en tira d’ailleurs aucun profit, et au contraire donna à ses adversaires de nouvelles raisons d’entraver l’évolution de sa carrière.

Son seul sujet de satisfaction est l’Académie qu’il contribue à restaurer et dont il est le premier secrétaire général ; il y trouve enfin une reconnaissance locale. Outre ses rapports annuels des travaux académiques, il y fait plusieurs relations de son activité en Égypte. C’est aussi par l’Académie qu’il peut contribuer à la création de deux écoles d’enseignement mutuel à Arras, rue Sainte-Croix et rue Baudimont.

Pourtant, son séjour à Arras tourne court. Son chef et mentor Jean-Baptiste Courtalon, tombé malade, meurt en janvier 1820. Bien qu’il en ait assuré pendant six mois le service par intérim, il n’est pas nommé ingénieur en chef pour lui succéder. Le gouvernement lui préfère un nouveau venu, Adrien Raffeneau de Lile, ancien de l’expédition d’Égypte comme lui, mais polytechnicien plus qualifié, et dont la carrière est plus lisse. Déçu, Martin demande et obtient sa mutation en Gironde en 1821.

Les neuf ans qu’il passe en Gironde sont consacrés à l’achèvement de la route royale de Montauban à Bordeaux, à la construction neuve de plusieurs parties de routes départementales, au projet d’un pont suspendu à des chaînes de fer, à Langon et à Labarthe. Il décide alors de prendre sa retraite, en 1830, après 38 ans de service effectif.

Il se consacre alors à des activités privées. Il monte le projet audacieux de relier Bordeaux et Toulouse par des chemins de fer entre Bordeaux et Langon d’une part, Moissac et Toulouse, d’autre part, puis la liaison par un bateau entre Langon et Moissac, mais ne peut le réaliser. En 1831 il construit le premier pont suspendu sur la Garonne, à Langon, qu’il avait projeté quand il était encore en service. En 1832, il monte une société et construit le pont suspendu sur la Dordogne, à Saint-Jean de Blagnac. Retiré à Rions, Martin s’acquiert l’estime générale : d’abord conseiller municipal, il est maire de 1844 à 1848. L’instauration de la République l’amène à démissionner.

Ses enfants demandent pour lui la Légion d’honneur. Elle lui est attribuée en mars 1855, deux mois avant son décès, au titre d’ancien membre de la commission scientifique de l’Expédition d’Égypte.

Il s’éteint à 84 ans, le 11 mai 1855.

Publications dans les Mémoires de l’Académie d’Arras

Rapport sur les travaux de la Société, Mémoires de l’Académie d’Arras, 1ère série, t. I (1818), p. 19-38

Description hydrographique des provinces de Béni-Soueyf et du Fayoum, en Égypte, Mémoires de l’Académie d’Arras, 1ère série, t. I (1818), p. 231-297.

Rapport sur les travaux de la Société fait à la séance publique du 28 août 1819, Mémoires de l’Académie d’Arras, 1ère série, t. II (1819), p. 5-24.

Rapport sur les concours de l’année 1819, Mémoires de l’Académie d’Arras, 1ère série, t. II (1819), p. 25-30.

Notice sur la topographie de l’Égypte, Mémoires de l’Académie d’Arras, 1ère série, t. II (1819), p. 214-309.

Rapport sur le traité de l’art de moirer, de M. Derheims, Mémoires de l’Académie d’Arras, 1ère série, t. II (1819), p. 481-487.

Rapport sur les travaux de la Société royale d’Arras, du 25 août 1819 au 28 août 1820, Mémoires de l’Académie d’Arras, 1ère série, t. III (1820), p. 23-48.

Autres publications

« Description hydrographique des provinces de Beny-Soueyf et du Fayoum », in Description de l’Égypte, État moderne, t. II, Paris, Imprimerie impériale, 1812, p. 195-228.

Histoire de l'expédition française en Égypte, 2 volumes, Paris, 1815. 

« Notice sur un grand monument souterrain à l’ouest de la ville d’Alexandrie », in Description de l’Égypte, Antiquités-Descriptions, t. II, Paris, Imprimerie royale, 1818, p. 7-12.

Dans la carte topographique au 1/100 000° en 47 feuilles (Paris, Imprimerie royale, 1823) qui accompagne la Description de l’Égypte, P.D. Martin a collaboré aux feuilles 18 (Beny-Soueyf), 19 (Fayoum), 20 (Pyramides).

Description du pont suspendu sur la Garonne à Langon, département de la Gironde, 1832.

« Pierre Dominique Martin, ingénieur des Ponts et Chaussées, compagnon de Bonaparte en Égypte, autobiographie 1771-1839 », ouvrage manuscrit, préfacé par Jean Tulard, présenté et annoté par Yves Laissus, publié par Guénégaud, 2008, 127 p.

NB : À l’Institut d’Égypte, dans la séance du Ier ventôse an IX (20 février 1801), l’ingénieur en chef Jacques-Marie Le Père, directeur des Ponts et Chaussées, a lu une lettre de P.D. Martin « relative à un projet de voyage au Fayoum et dans les oasis » (BNF, Manuscrits, Naf 21 944, f. 30).

Sources

État civil : naissance, AD 31, 2 E IM 8435, p. 61/193 ; premier mariage à Paris en 1793, AD 75, V3E /M 689, 37/51 ; second mariage à Arras en 1815, AD 62, 5 MIR 041/44, p. 171/1395 ; mariage religieux en 1815, AD 62, 9 J 2786 ; mariage de son fils Émile, AD 18, 3 E 1687, p. 44/330 ; mariage d’Alexis Hallette, AD 62, 5 MIR 041/43, p. 1311/1405 ; naissance de Ludivine Émilie Hallette le 21 juin 1813, AD 62, 5 MIR 041/33, p. 1265/1418.

Archives diocésaines Arras, « HALETTE ou HALLETTES François Joseph Trophime », Répertoire Cléton.

Annuaires du Pas-de-Calais.

Base Léonore :  LH//1765/35

École nationale des ponts et chaussées – Direction de la documentation, des archives et du patrimoine – Mission archives Anne Lacourt Mis à jour le 16.01.2020 1 Liste générale des élèves du corps et des élèves civils de l’Ecole des ponts et chaussées 1744-1930, « Martin Pierre Dominique ».

Annuaire-mairie.fr>ancien-maire-rions

LORION André, Un ingénieur des ponts et chaussées sous la Révolution, PJD Martin, Annales des Ponts et Chaussées, 1962, p. 395

BEAUREPAIRE Pierre-Yves, « Des Lumières à la Restauration. La tentation académique et l’exigence d’utilité publique des élites maçonniques arrageoises au XIXe siècle », in Arras, le savoir et la curiosité, Aspects de la vie culturelle dans une ville-préfecture au XIXe siècle, Mémoires de l’Académie d’Arras, 6e série, t. III (2000), p.39-47.

DHÉRENT Camille, « L’Académie des Lettres, Sciences et Arts d’Arras et les problèmes d’instruction et d’éducation au XIXe siècle », in Arras, le savoir et la curiosité, Aspects de la vie culturelle dans une ville-préfecture au XIXe siècle, Mémoires de l’Académie d’Arras, 6e série, t. III (2000), p.199-222.

ISAAC Catherine, Construire en province au XVIIIe siècle : les ingénieurs des États de Languedoc.  (Thèse 2018, à paraître 2024)

Le dossier administratif personnel de P.D. Martin en tant qu’ingénieur des Ponts et Chaussées, est conservé aux Archives nationales, sous la côte F 14 2278.