Tours (Saint-Vincent) (Indre-et-Loire) 01.03.1758 – Saint-Quentin-les-Trôo (Loir-et-Cher) 05.11.1832. Lieutenant du génie, affecté brièvement à Arras.

Académicien éphémère. Élu le 3 février 1787 pour succéder à Louis Le Josne-Contay  marquis de la Ferté sur le 6e fauteuil, il n’assisté à aucune séance, et démissionne dès 28 avril de la même année. Il est remplacé par dom Dumarquez le 10 mars 1788.

Il est le fils de Samuel Marescot, seigneur de la Noue, brigadier des gardes du corps du Roi, et de Louise-Anne-Élisabeth Collas de Malmusse. Destiné à la carrière des armes, il entre au collège de La Flèche, puis à l’École militaire de Paris, et complète sa formation à l’École royale du génie de Mézières. Sorti lieutenant le 13 janvier 1784, il est affecté successivement au Génie de plusieurs places, et notamment, à Arras en 1786-1787.

Le Journal des séances de l’Académie tenu scrupuleusement par son secrétaire Dubois de Fosseux, de décembre 1785 à mars 1792, (seule archive de l'Académie antérieure à 1915 dont nous conservons une transcription intégrale) montre que Marescot n’a assisté à aucune séance, et que, de ce fait, il n’a pas pu être reçu. Il renonce à son fauteuil le 28 avril 1787 dans une lettre annonçant son départ d’Arras. L’Académie reçoit cependant son discours de réception rédigé afin de pouvoir bénéficier de l’honorariat. Intitulé « Coup d’œil sur les connaissances humaines », il est lu par le secrétaire, lors des séances ordinaires des 25 et 26 mai 1787. 

Marescot intègre l’Académie d’Arras, élu à l’unanimité le 3 février 1787. Les académiciens arrageois étaient astreints à résidence en Artois et on créa un statut pour les correspondants ou académiciens honoraires en 1787, précisément l’année d’entrée et de sortie de notre jeune Marescot de cette compagnie. Marescot en bénéficia aussitôt, car il ne resta pas longtemps en garnison à Arras, et quitta rapidement la ville, avant même de pouvoir occuper son fauteuil. Dès le mois de mai 1787, il avait quitté la capitale de l’Artois pour la ville d’Avesnes.

Ingénieur, devenus proche ami d'un autre ingénieur militaire Carnot élu à l'Académie en mars 1787, fraîchement distingués par cette élection, ils offrirent à leurs nouveaux confrères, leur discours de réception le même jour, lors de la séance du 25 mai 1787, sauf que Marescot, absent et ne résidant plus était devenu « honoraire ». Son discours fut donc lu par le Secrétaire de l’Académie et non par le Directeur en exercice…Monsieur de Robespierre !

La résidence étant une des conditions mises à l’appartenance de plein droit à l’Académie, il ne pouvait plus être que simple correspondant. Néanmoins, il eut le droit de prononcer  son discours de réception comme tout titulaire et celui-ci fut lu à la séance du 22 mai. Aucun discours, en revanche, ne lui  fut adressé en réponse.  Robespierre, présent ce jour là en sa qualité de Directeur aurait pu être  l’orateur désigné pour cette réponse. Ce ne fut pas le cas, hélas. Ce jour-là Robespierre répondit à une autre nouvelle académicienne, Melle de Kéralio, pourtant absente, elle aussi.

En ce jour de printemps 1787, Armand Samuel de Marescot, âgé de 29 ans seulement, trouva donc en cette séance académique, l’occasion rêvée d’exprimer un certain nombre de ses idées philosophiques. Son ami Carnot était présent pour écouter le discours de trente minutes ; le futur général du Génie, Champmorin également, et bien d’autres camarades de la garnison se tenaient dans la même salle des séances.

Armand Samuel choisit de traiter du thème très général des « connaissances humaines », abordant après les remerciements d’usage, trois thématiques : les sciences, les arts et les belles lettres. Pour chacune, il détaille les différentes disciplines qui la composent. C’est le prétexte pour exprimer son point de vue personnel et expliciter ainsi sa propre philosophie. Il met, en effet, dans ce discours,  beaucoup de lui-même et c’est donc l’état des sciences et des arts  tel que lui l’envisage après ces longues années de collège puis d’Écoles royales. C’est l’opinion d’un jeune homme rompu à tous les exercices des sciences dures de son époque, mais à qui n’échappe aucune autre activité de la société, y compris la mode ou la musique ! Dans ce texte, Marescot choisit son camp entre les deux partis qui déchirent l’opinion éclairée européenne de la fin du XVIII° siècle : il est résolument contre Rousseau et pour Voltaire.

Mais, au-delà, par la richesse du contenu du texte qu’il a élaboré pour ses collègues, il nous offre un exemple achevé des fruits de l’éducation supérieure dispensée dans les grandes écoles militaires de Louis XVI. Il nous révèle le degré de réflexion que les jeunes officiers de Louis XVI pouvaient atteindre. Ils ne se contentent pas d’être des machines à faire la guerre : intégrés dans la société, ils participent de ses choix et partis pris et se préparent ainsi à ce qui va leur arriver très prochainement. A savoir, devoir choisir : adhérer aux idées et valeurs du nouveau régime, ou quitter le pays, émigrer, et combattre la France dans des armées étrangères. Le choix de Marescot ? Ouverts aux idées nouvelles, ni lui ni ses deux frères n’émigreront : ils n’abandonneront pas leurs convictions d’origine, mais les adapteront aux circonstances. Rien ne les fera varier de leur choix essentiellement patriotique, pas même les exagérations de leur ancien collègue Robespierre et les excès sanguinaires de ses séides.

Marescot va effleurer à peu près toutes les disciplines humaines de son temps, scientifiques et littéraires. Il assume une vision tout à fait « encyclopédique » ou « encyclopédiste ». Il rédige un vrai manifeste en faveur des « Lumières » et propose une vision globale des sciences qui forment un « grand tout » composé de disciplines « sœurs ». Au cœur de cette vision, une une conviction : l’humanité chemine vers le progrès et la civilisation, grâce aux développements combinés et conjoints des sciences, des arts, des lettres et donc de toutes les connaissances humaines. Rien n’échappe à cette vision globalisante, pas même la mode si futile en apparence.

Marescot s’insurge contre l’exaltation de l’« état de nature » et contre la vision naturaliste et négative de Rousseau et prend parti résolument pour la philosophie de Voltaire. La citation placée en exergue de son discours, tirée d’Ovide, est une critique directe de Jean Jacques. Voici la traduction de l’extrait des Métamorphoses qu’il a choisi : «  tandis que les animaux regardaient vers le sol, il donna aux hommes une tête haute, leur ordonna de regarder vers les cieux  et de lever la tête, droite, vers les étoiles ». Puis il développe son propos, et  voit l’évolution de l’humanité comme une progression continue depuis « les inventions simples qui pourvurent aux besoins les plus urgents de la vie » jusqu’à « cette soif ardente de savoir qui tient à son essence ». L’état de nature du philosophe de Genève n’est  à ses yeux d’homme éclairé et instruit que l’« aveugle instinct des bêtes ». Et de poursuivre sa diatribe : «  Faut-il aux dépens de la raison élever un temple à l’ignorance ? ». « Peut-on appeler heureux un être apathique ?...Pour qui le passé est peu de choses, le présent, tout ;  le temps à naître, rien ». Il continue par un hymne à la science, à ses bienfaits, avançant la notion de contrat social « naturel » que l’homme instruit ne voudra jamais rompre. Foin des « raisonnements captieux  du bel esprit», qui ne peuvent séduire que « des esprits simples et faciles… déjà proches de cet état de pure nature et ridicules ». Bref, aux yeux de notre ingénieur philosophe, Jean Jacques ne peut séduire que les sots, attirés par une prétendue nouveauté. Lui, Marescot, ne se laisse pas prendre.

La cause entendue, il poursuit son discours, entrant dans le vif du sujet par une exaltation de la science faite « des différentes branches des connaissances acquises. Filles du génie toutes nos connaissances sont sœurs ». Ainsi, dans tous les temps et tous les pays, « ont-elles ont pris naissance, marché et brillé ensemble ». Il va donc parcourir tout le champ commun des connaissances.

Au dessus de toutes les sciences « s’élève majestueusement la science des grandeurs ». Les mathématiques évidemment : la science des nombres et tous ses dérivés, géométrie, algèbre, analyse infinitésimale, chimie et physique. Cette dernière est décrite comme : « la connaissance des lois de l’équilibre et du mouvement des corps solides et fluides, élastiques ou incompressibles, nous apprend à diriger, à modifier les forces mouvantes et à les combiner avec l’élément du temps ». L’espace et le temps et l’équilibre des forces, donc. Ce sont les principes de base de la physique. Toutes notions connues depuis la fin du XVII° siècle et bien assimilées par l’ingénieur. De là, il passe aisément à la cosmologie et aux « plaines célestes » [1] , et bien sûr à la « conquête du ciel » engagée par Pilâtre de Rozier et les Montgolfier sous les yeux ébahis des contemporains. Le premier envol de l’homme dans les cieux, grâce à l’hydrogène, ne date que de 1783 et la première victime d’un crash aérien de 1785.

Au-delà du progrès sensationnel des techniques et des débuts de l’aéronautique, Marescot tourne ses yeux vers le cosmos : l’homme peut-il calculer « le cours majestueux de ces sphères étincelantes que l’Eternel géomètre sema dans l’immensité incompréhensible de l’étendue ». Incompréhensible : le grand mot est lâché. L’homme et la science trouveraient donc là leurs limites ? Bien que repoussées de génération en génération, elles demeurent rétives encore aujourd’hui aux interrogations des scientifiques du XXI° siècle qui se penchent encore sur la question des limites de l’univers, de son origine ou de l’existence de « multivers ». Marescot écrit à propos des astres : « Nous verrions les lois qui les meuvent être le simple résultat de leur tendance vers un centre et d’une force première de projection ». C’est l’opinion des savants en ce temps-là.

L’auteur s’exalte à la vue de cet univers merveilleux que la science éclaire de ses lumières, mais son regard revient rapidement vers notre planète humaine « notre petit globe terraqué, léger atome qui s’agite dans l’espace ». Sommes-nous le seul objet ? Question toujours actuelle que Marescot pose crûment et il y répond par la négative. A son avis, d’autres planètes habitées comme la terre existent nécessairement : « d’autres êtres doués, peut-être, comme nous de la prérogative inestimable du raisonnement. Et peut-être plus avancés que nous dans la connaissance et la civilisation, avec d’autres croyances, d’autres religions. Il arrête là sa démonstration, effrayé sans doute des horizons qu’elle ouvre aux académiciens d’Arras. Ces « savants devant qui on ne doit point prononcer de peut-être ». La démonstration de l’ingénieur qu’il arrête à ce point de sa réflexion cède alors le pas à la rêverie du philosophe.

Marescot a été manifestement attentif aux travaux des savants français de son époque qui ont approfondi et confirmé les travaux de Newton, en particulier  Lagrange et Laplace. Un peu plus tard, la poursuite des travaux des scientifiques français confirmera les intuitions de notre jeune ingénieur. Lagrange dans son Traité de mécanique céleste paru en 1825 conclut ses travaux par une vision cosmogonique matérialiste très ferme : « L’harmonie du monde s’explique ici par un déterminisme universel dégagé de toute enveloppe théologique » Mais nul doute que Marescot avait lu attentivement auparavant  les thèses de D’Alembert dans son introduction à la grande Encyclopédie. L’époque qu’il a vécue comme élève puis étudiant et jeune officier du génie, est d’une incroyable effervescence intellectuelle et scientifique, posant des questionnements en termes justes que nous ne pouvons renier aujourd’hui encore.

Revenu sur terre, Marescot se fait l’apôtre … de la mondialisation qu’il voit « heureuse » bien évidemment puisque « les distances ont disparu, les contrées qu’elles séparaient ont librement communiqué ensemble, se sont donné la main, elles ont fait entre elles un échange précieux du superflu contre le nécessaire, de l’agréable pour l’utile ». Il oublie au passage, les ombres de ce commerce international, issu des grandes découvertes, qui comprend l’esclavage et la traite des noirs ! Mais il jette sur le monde le regard bienveillant des ethnologues, et autres découvreurs des mœurs des peuplades lointaines, qui l’amène à relativiser sa propre culture européenne. Vision généreuse dont le XIX° siècle verra l’ample réalisation grâce à ces découvreurs de nouvelles terres, à ces voyageurs géographes et philosophes lancés à l’assaut des mondes nouveaux exotiques. Il se fait aussi, au passage,  l’apôtre du libéralisme économique avec cette phrase : « En travaillant à sa fortune, le commerçant enrichit sa patrie ». A cela, rien de bien original pour son temps.

Et, plus curieusement, il se fait aussi l’apôtre d’une conception très moderne de l’histoire des hommes, proche de celle définie sous le terme d’École des Annales au XX° siècle, refusant l’histoire des batailles et des empires pour ne vouloir connaître que l’histoire des peuples «  de leur génie particulier, leurs religions, leurs gouvernements, les causes de l’élévation et de la chute de leurs Empires, celle des progrès et de la décadence des sciences, des lettres et des arts et l’influence de tous ces objets les uns sur les autres ».

Revenant aux techniques, notre  ingénieur se réjouit naturellement  des découvertes de Franklin ou de la chimie pneumatique qui étudiant les gaz envoie les hommes dans les airs comme nous l’avons vu plus haut, tout en regrettant que l’on n’ait pas de « moyen de direction » pour dominer les vents qui emportent les aéronefs primitives : cela viendra un siècle plus tard. Les aléas de l’aéronautique le préoccupent déjà avant qu’il n’expérimente cette invention nouvelle lors de la bataille de Fleurus. « Cependant qui peut prévoir l’avenir ? », nous dit-il à ce sujet. « Ne désespérons pas du génie inventeur de l’homme » L’avenir lui donnera absolument raison, quand il annonce que ce « génie de l’homme » n’a pas de bornes. On souhaiterait pour lui qu’il se réveille de sa tombe et voie notre ciel encombré d’aéronefs et de fusées spatiales et autres engins lancés dans le cosmos avec une précision millimétrée.

Bien que son approche frôle le paradoxe, on ne peut reprocher à ce militaire de considérer l’ « art de la guerre » comme un art authentique destiné à économiser le sang des hommes (grâce aux fortifications bien sûr !) et à préparer la paix. Les héros de Marescot « ne firent couler le sang qu’à regret ». C’est bien sûr sa manière de penser puis de faire la guerre qu’il exprime ainsi. Il aura deux décennies pour en vérifier la pertinence. De ce point de vue, pense-t-il, les inventions d’armes terrifiantes de son siècle « loin d’augmenter les ravages, les ont diminués » ! Car elles imposent silence à nos ennemis, poursuit-il. Un léger sophisme se ferait-il jour à ce moment de son discours, peut-être ? A moins qu’il ne s’agisse du fameux équilibre de la terreur, bien connu depuis la guerre froide.

Mais, changeant de sujet,  il se fait aussitôt le chantre d’une France paisible qui se plait, selon lui, à considérer son développement et sa propre richesse grâce aux « canaux du commerce ». Naïveté évidente en 1787 et ignorance des révolutions à venir, ce qui n’est guère condamnable pour cette génération de jeunes gens qui s’engagent dans la Révolution en parfaits aveugles. Avec la même naïveté, il rêve d’une justice parfaitement impartiale au moment même où les bons auteurs, les Beaumarchais et  autres, conscients eux des vices du système judiciaire français et des ambigüités des « robins » opposants farouches aux justes réformes royales qui pouvaient les atteindre en réformant la justice véreuse de ce temps, la critiquent et la ridiculisent.

Naïveté ou rêve éveillé d’un homme juste qui espère le succès du jeune roi bienveillant dans sa volonté de réformes. 1787 est l’année de convocation des Assemblées de notables et bientôt des États généraux. La première de ces Assemblées est exactement contemporaine du discours de Marescot à Arras : elle se tient du 27 février au 25 mai 1787. Hélas c’est un échec pour le roi ; quant aux États généraux de 1789, on sait ce qu’il en advint pour « un prince juste et amateur de bien » comme Marescot le dit du Roi de France. Et « la science du gouvernement fait depuis quelque temps des projets rapides qui doivent consoler l’humanité ». Projet ou progrès ? Le doute sur ce terme, tel que transcrit dans le texte actuel de son discours est permis. Mais la suite nous éclaire sur ce que pense au fond Marescot des événements qui s’engagent. C’est la pleine période de la « Pré-révolution ». Il en écrit ceci : « La « philosophie » commence à s’asseoir sur le Trône des rois et le bonheur des peuples sera le fruit de cette heureuse révolution ». Il s’agît donc bien de progrès.

En 1787, Marescot, comme tant d’autres, approuve le moment des réformes et adhère aux premiers mouvements de la Grande Révolution. Qu’en dira-t-il dans le secret de son intimité à ses proches en 1793-1794 ? On le devine. Mais qui peut le lui reprocher sans tomber dans l’anachronisme détestable de nos médias contemporains ?

Et de conclure ce chapitre par un éloge appuyé « du jeune souverain » du « père tendre » qui assemble des conseils, « communique librement avec ses enfants », et bien sûr récuse l’absolutisme de ses prédécesseurs à qui toutefois avec justesse il reconnait « des talents supérieurs ». Tout est dit : Marescot est libéral, philosophe, adepte des idées nouvelles et des réformes et enthousiaste devant les dernières mesures de Louis XVI en 1787.

Revenant à des considérations plus matérielles, c’est l’art de vivre à la française qui fait le bonheur de notre vendômois régnant avec bonheur sur ses domaines de la vallée du Loir. On lira avec intérêt quelques pages de son discours, dédiées à l’art des parcs à l’anglaise alors adopté par toute la noblesse campagnarde et la haute bourgeoisie pour l’ornement de leurs espaces d’agrément. La  belle nature est soumise à l’art des architectes paysagistes en plein essor, et se voit contrôlée par la science et les techniques hydraulique et agronomique ou forestière. Du bel ouvrage en effet, dont nous ne conservons que quelques rares spécimens de nos jours eu égard à tout ce qui a pu être édifié sous le règne de Louis XVI dans toutes les provinces. Et notre homme féru d’humanités classiques de se réjouir du talent des créateurs de jardins : « Examinons admirons et croyons que l’Antiquité ne nous offrit jamais rien de semblable même dans les récits fabuleux des Jardins d Alcinous, de ceux des Hespérides ou de la vallée de Tempé »

Évoquant les arts mécaniques si présents dans les magnifiques planches de l’Encyclopédie, il leur assigne le but de soulager les ouvriers de leur peine car ils ont pour « utilité première l’économie de la main d’œuvre » L homme utilise les forces de la nature pour « faire mouvoir des machines laborieuses qui l’aident à fabriquer sans peine toutes les productions utiles à son confort : on économise un temps précieux et des hommes plus précieux encore ». Toujours ce souci de l’homme, cet humanisme profondément ancré au fond de la personnalité du jeune officier du génie. Il s’enthousiasme de la machine à vapeur : « une simple vapeur alternativement dilatée et condensée enfante ce miracle et produit plus d’effet que les efforts réunis de plusieurs centaines d’hommes ». Il doit ne rien perdre des innovations de Watt et Cugnot qui datent exactement de ces années là et sont promises à l’avenir que l’on sait.

Marescot vit les débuts prometteurs des arts mécaniques dans les deux pays rivaux de la France et de l’Angleterre et il s’en émerveille à juste titre ; l’avenir une fois de plus lui donnera raison. Le développement de la société devra beaucoup à la mécanisation dans les siècles qui suivront. Ce courant « mécanicien » verra son aboutissement un siècle plus tard avec les ouvrages de Figuier par exemple Les merveilles de la science ou le Savant du foyer, œuvre de vulgarisation et de promotion des arts mécaniques en plein XIX° siècle

Suivent quelques mots moins intéressants sur les merveilles de l’horlogerie de l’imprimerie ; mais c’est pour notre homme l’occasion d’une louange exaltée du grand Voltaire, disparu physiquement, mais à qui l’art typographique permet de se survivre et de rayonner encore. Quelques mots un peu plus étendus, mais assez convenus, sur l’agronomie si en faveur en France et en Angleterre en son temps.

Avant d’en venir à la mode. On n’aurait pas attendu de l’austère ingénieur Marescot des pages aussi lyriques sur la mode féminine. Que l’on en juge : voici comment il évoque la mode de son temps : « Ces étoffes délicates et brillantes dont les grâces semblent agiter les ondes voluptueuses. Ces gazes amoureuses à la fois transparentes et obscures qu’on prendrait pour de légers nuages dont  la volupté prend plaisir à se voiler où l’imagination comme un zéphyr subtil  s’insinue furtivement ». Ah, quelle ardeur amoureuse inspire-t-elle à ce jeune officier célibataire de 29 ans ces phrases enflammées ? Nous ne le saurons jamais. Faisons comme Armand Samel et « applaudissons aux efforts que fait un sexe charmant pour nous plaire » ! Là pour cette fois, ne souhaitons pas à notre héros de se réincarner en notre temps de féminisme austère et vertueux : il serait de surcroit, très étonné de nos modes féminines du moment et probablement assez malheureux !

Après ce moment de futilité, il redevient sérieux à l’examen des « belles lettres » qui constituent les « fleurs » de son paysage mental tandis que les sciences en sont les « branches », nous dit-il. Et le voilà qui à toute force veut intégrer poésie et éloquence au rang des sciences dures à coup de grammaire ou de linguistique. Et revoilà Voltaire, mort depuis dix ans à peine, « héritier de la Noblesse romaine de Corneille, du style passionné de Racine, et du pinceau terrible de Crébillon ». Il n’est pas certain que Marescot ait bien vu, pas plus que ses contemporains, la vraie valeur du grand homme. Qui lit encore ses tragédies et ses poèmes ? Personne bien sûr ! Laissons Marescot à ses goûts pour la noblesse de l’art dramatique bien décadent de son temps !

En conclusion, Marescot insiste sur l’évolution positive de l’humanité depuis ses origines pour acquérir les connaissances objets de son discours, et note que c’est avec le temps et beaucoup d’efforts que ces résultats ont été obtenus : ce qui est de pur bon sens.

Et de se lancer dans des prévisions de son cru sur l’avenir des hommes dans les générations suivantes, non sans lyrisme ni une certaine exaltation. Le culte du progrès est au cœur de son discours, de l’introduction à la conclusion. Un progrès sans fin. « Nous en savons assez pour deviner ce qui nous reste à savoir. …Nos yeux savent déjà apercevoir les vides, ils sont immenses ; peut-être la postérité les remplira… Cet ouvrage immense, l’Encyclopédie…cette collection prodigieuse de savoir leur paraitra peut-être incomplète», mais inachevé.

Mais Marescot ne doute pas que l’Auteur de toutes choses n’a mis aucune borne à l’intelligence humaine ! Cette conviction fonde son optimisme et son espérance dans l’avenir de l’humanité en cette année de pré-révolution ouvrant une terrible période de révolution sans fin qui le marquera profondément jusqu’à sa mort en 1832. Il aura connu sept régimes politiques différents de son vivant !

Le cas de Marescot est-il exceptionnel au sein de son corps professionnel ? Il semble à en croire Anne Blanchard que non[4]. Dans son ouvrage très documenté, elle indique que soumis à de longues périodes d’oisiveté pour cause d’hivernage ou disposant de nombreux congés, ces officiers cultivés lisent beaucoup, en majorité des relations de voyages, des ouvrages militaires ; d’observation, de géographie et d’histoire moderne. Il leur arrive même d’écrire, parfois, et le plus souvent des poèmes, pas forcément très bons. Ils vont en société pour jouer et jouir des plaisirs de la conversation. Les petites villes de garnison ne sont pas réputées pour leur entrain et leur animation ou leur émulation culturelle. Arras est déjà mieux perçue avec ses nombreuses institutions judiciaires et politiques, son commerce, le clergé nombreux  et ses militaires non  moins nombreux

Les officiers savants, ingénieurs et artilleurs, profitent de leurs loisirs pour cultiver leur amour des sciences exactes, des mathématiques en particulier et se tiennent au courant des  avancées en s’abonnant à des revues spécialisées comme le Journal des Scavants. Ils poursuivent eux même des recherches qu’ils publient parfois dans leur domaine de compétence. Ce ne sera pas le cas de Marescot qui, plus tard, ne publiera que des ouvrages techniques relatant des opérations militaires et ceci, sous la plume de Musset-Pathay, son ami et son « nègre » ou du chevalier Allent, son autre secrétaire. On sait le rôle tenu par son camarade Carnot dans le calcule infinitésimal et la physique, qui fera de lui un savant réputé avant que d’être un homme politique et un homme d’État reconnu. Les deux amis ont en commun d’avoir reçu à Mézières et de Monge l’aptitude à combiner mathématiques fondamentales et méthode expérimentale : synthèses des plus fécondes pour le siècle suivant.

Sortant de leur strict domaine de spécialité, ces ingénieurs s’intéressent aux beaux-arts et aux sciences sociales : l’histoire est une de leurs passions et un assez grand nombre se préoccupe même d’archéologie. Ce sera un des épisodes de la jeunesse de Marescot une fois affecté à  Avesnes que de se muer en archéologue et de « lever » le « camp de César » de ce lieu. Quant aux belles-lettres « beaucoup versifient dans le privé » nous rappelle Anne Blanchard et son appartenance aux Rosati, si elle est confirmée, nous incline à penser que Marescot lui aussi taquina la muse en ses moments de loisirs arrageois.

Anne Blanchard nous rappelle surtout que nombre d’entre eux « participent au grand mouvement de curiosité et d’acculturation de leur époque ». Voilà où se situe notre jeune Marescot : au cœur de l’élite intellectuelle et savante des Lumières dont il est un des fervents acteurs, certes de rang modeste au vu de sa production éditoriale. Mais pas au regard de son rôle historique de Chef du génie.

C’est ainsi qu’il s’acclimate à  Arras au sein de l’élite des « notabilités urbaines » en rejoignant cette belle Académie, où se retrouvent les meilleurs éléments du dedans comme du dehors de la capitale de l’Artois. Et, honneur suprême, Marescot, comme Carnot sera membre de l’Académie des Sciences avec douze autres de ses camarades : c’est dire quand même sa notoriété dans le monde des savants !

Est-il membre des loges d’Arras comme tant de militaires de cette époque et quasi tous les officiers de la place ? Ceci reste à vérifier et n’a guère de signification vu l’engouement  pour la fraternité maçonnique dans la société militaire du temps.

La carrière militaire ultérieure de Marescot est assez étonnante

Les guerres de la Révolution et de l’Empire donnent l’occasion à ce jeune lieutenant féru des Lumières de connaître la gloire militaire, avant de déchoir brutalement en Espagne.

Il est promu capitaine à Lille le 1er avril 1791. Il s’y distingue pendant le siège en octobre 1792, puis devient aide de camp du général Champmorin dans la campagne de Belgique. Il participe au siège et à la prise d’Anvers en novembre 1792, refuse de suivre Dumouriez dans sa défection après la défaite de Neerwinden le 18 mars 1793 et reste à Lille dont il organise efficacement la défense.

La Convention lui permet une carrière fulgurante.

Promu chef de bataillon, il est envoyé (septembre-décembre 1793) rejoindre l’armée républicaine « du camp devant Toulon » pour reprendre la ville et le port que les royalistes avaient livré aux Anglais. Il y dirige les travaux d’approche. Il y fait aussi la connaissance de Bonaparte.  En 1794 il est rappelé dans le Nord pour défendre Maubeuge, menacée par les Autrichiens, puis assiéger Charleroi, et contribuer à la victoire de Fleurus (26 juin 1794). Il est promu colonel le 19 juillet 1794, au soir de la reprise de Landrecies. Il contribue encore à la reprise du Quesnoy, de Valenciennes et de Condé, ce qui lui vaut coup sur coup deux nouvelles promotions : il est nommé général de brigade le 1er septembre 1794, chargé de diriger le siège de Maastricht, puis général de division le 8 novembre 1794 après la prise de la ville. Nommé inspecteur général du génie le 21 mars 1795, il est envoyé à Bayonne commander le génie de l’armée des Pyrénées occidentales et des pays conquis.

Le Directoire lui confie des commandements supérieurs en Allemagne. Il est successivement commandant de la place de Landau (16 avril 1796), commandant en chef du génie de l’armée du Rhin (avril 1797), commandant en chef du génie de l’armée d’Allemagne (28 septembre 1797), du génie de l’armée d’Angleterre (12 janvier 1798), du génie de l’armée du Danube (7 mars 1799), du génie de l’armée d’Helvétie et du Danube (30 avril 1799), gouverneur de la place de Mayence (18 septembre 1799).

 Il fait en 1798 un mariage qui servira sa carrière : il épouse, Françoise Cécile d’Artis de Thézac, cousine de Joséphine Tascher de la Pagerie, dite de Beauharnais. Son épouse devient après 1804, dame du Palais de l’Impératrice et leur fille, Joséphine Cécile, née en 1803, aura pour parrain le Premier Consul Napoléon Bonaparte et pour marraine, Joséphine de la Pagerie. 

Sous le Consulat

D'abord premier inspecteur-général du génie (5 janvier 1800), il est nommé (8 mars 1800) commandant en chef du génie de « l’armée de réserve » rassemblée en secret par Bonaparte en Suisse ; avec lui, il fait passer l’armée par le col du Grand-Saint-Bernard (14-23 mai 1800), force le passage du val d’Aoste en prenant le fort de Bard et accompagne Bonaparte en Italie jusqu’à la victoire de Marengo (14 mai 1800).  En 1801, président du Comité des fortifications, il est chargé de l'inspection des côtes nord-ouest de l'Océan, de la mer du Nord, et de la place d'Anvers, puis commandant en chef du génie de l’armée des côtes de l’Océan (1803), et il commande le génie de l'armée de Boulogne.

Au début de l’Empire, il cumule les honneurs : Grand-officier de l’Empire (6 juillet1804), Grand-aigle de la Légion d’honneur (2 février 1805). Rattaché ensuite à la Grande Armée, il est en Autriche en 1805 et à Austerlitz le 2 décembre, puis en Prusse en 1806. Il est créé comte de l’Empire le 19 mars 1808.

La guerre d’Espagne lui est fatale.

Envoyé par Napoléon, en tant que premier inspecteur général du génie, reconnaître les places de Cadix et de Gibraltar, il est surpris par le soulèvement populaire du 2 mai 1808, et il se place sous la protection de la division du général Dupont. Sans y avoir de commandement il en partage dès lors le destin funeste. Lorsque cette division est encerclée le 19 juillet 1808 dans les défilés désertiques de la Sierre Morena, son haut rang l’amène à participer aux négociations d’une reddition aux Espagnols, moyennant la promesse d’un rapatriement des troupes. Cet épisode est connu sous le nom de « capitulation de Baylen le 22 juillet 1808 ».  Les Espagnols ne respectèrent pas les termes de la convention signée, gardèrent les troupes prisonnières mais permirent aux états-majors de regagner la France. De retour à Marseille le 1er septembre 1808, Marescot est accusé de trahison, arrêté, destitué de ses grades et dignités et écroué pendant trois ans. Après jugement par un conseil de guerre, il est exilé à Tours le 1er mars 1812.

La Restauration le remet en selle. Il est rappelé et réintégré dans son grade de Premier inspecteur général du génie le 8 avril 1814, par le gouvernement provisoire de Louis XVIII, retrouve son titre de Comte le 24 septembre 1814, promu Commandeur dans l’Ordre royal de Saint-Louis le 27 décembre 1814.

Pendant les Cent-jours, Marescot rencontre Napoléon à Paris dès le 27 mars 1805 et accepte le commandement de la défense des frontières de l'Argonne, des Vosges et du Jura.

Louis XVIII revenu, il est mis à la retraite le 7 septembre 1815, avec le grade de lieutenant-général (général de division). Il est néanmoins maintenu dans sa dignité de Grand-Croix de la légion d’honneur par l’ordonnance royale du 26 mars 1816, fait marquis en 1817 et nommé à la chambre des Pairs le 5 mars 1819. Plus tard, il prête serment à Louis Philippe en 1830.

Le nom du général Marescot est gravé sous l'arc de triomphe de l'Étoile à Paris, pilier Est, 14e colonne.

Jean-Pierre Diers, Michel Beirnaert et Catherine Dhérent, avec la collaboration de Gérard Ermisse   

 

[1] Depuis Copernic et ses successeurs, la question est posée du monde fini ou infini. Buffon sans sa Théorie de la terre est très clair à ce sujet : « l’étendue de l’univers entier paraît être sans borne » avec la référence déiste de rigueur : « le système solaire ne fait plus qu’une province de l’empire universel du Créateur, empire infini comme lui ».

[2] Cette question nait un peu après Galilée chez ses successeurs : elle n’est donc pas nouvelle parmi le monde des savants du XVIII° siècle auquel Marescot appartient.

[3] Voir sur les perspectives scientifiques et philosophiques actuelles l’ouvrage de Sean Carroll. Sur l’origine de la vie, son sens et l’Univers lui-même. Le Grand Tout Paris, Quanto., juin 2018.

[4] Anne Blanchard. Les ingénieurs du Roy de Louis XIV à Louis XVI. Étude du Corps des  Fortifications. Montpellier, 1979.

Publications

Relation des principaux sièges faits ou soutenus en Europe, par les armées françaises depuis 1792, Paris, 1806

Mémoires sur la fortification souterraine, Journal de l’École polytechnique, 1802

Plan du siège de Kehl levé avec soin et exactitude sur le terrain, après le passage du Rhin…, 1800

Sources

Coup d’œil sur les connaissance humaines, Discours de réception à l'Académie d'Arras, AD 62, 1 J 1933.

Dubois de Fosseux Ferdinand, Journal de l’académie d’Arras (décembre 1785-mars 1791), Archives familiales Dubois de Fosseux, transcription par le chanoine Léon Berthe.

Base Léonore : LH//1736/25.

État civil : décès, AD 41, 5MI TD 1 R58, p 26/61.

Site du Sénat, Vos sénateurs, Pairs de France, MARESCOT Armand Samuel, comte Marescot.

Annuaire de l’état militaire de France, 1819 et 1820 (2 vol.)

HOUDECEK François, « L’honneur instrumentalisé : le sort des généraux de Baylen (1808-1812) », Napoléonica, La revue, 2013/1 (n°25), p. 142-161

« Les généraux du Génie du Premier Empire », Vauban, la Lettre du Génie, hors-série n° 1 (2006), p. 113-116.

ERMISSE Gérard et Catherine, ROBERT Florence, Marescot, le Vauban de la Grand Armée, Album de l’exposition à l’Orangerie du Château de Chalay, juin 2004.

MERVAUX André, « Les militaires en garnison à Arras de 1788 à 1790 », Mémoires de l’Académie d’Arras, 6e série, t. 2 (1990), p. 115.

ZABERN Gilbert, Le général Marescot, Editions d’Arnouval, 1986, 179 p.

BLANCHARD Anne, Dictionnaire des ingénieurs militaires, Montpellier, 1981.

BLANCHARD Anne, Les ingénieurs du « Roy » de Louis XIV à Louis XVI. Etude du corps des fortifications, Montpellier, 1979, p. 466.

LAROUSSE, Dictionnaire du XXe siècle, t. 4 (1931). 

ROBERT et COUGNY, Dictionnaire des Parlementaires français, 1889-1891, tome IV, p 264.

HOEFFER (sous la dir. de), La nouvelle Biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, t. 33, Paris, 1860, p. 530-532.

ARNAULT, JAY, DE JOUY, NORVINS, et alii, Bibliographie nouvelle des contemporains, ou dictionnaire historique et raisonné, 1820, p. 417-422.