Lille 22.03.1789 – Neuilly-sur-Seine (actuels Hauts-de-Seine) 21.11.1865. Industriel, fabriquant de sucre. Époux d’Adélaïde Delisse.
Élu le 20 septembre 1817, à la restauration de l’Académie et installé sur le 10e fauteuil occupé avant la Révolution par le poète Louis-Joseph Le Gay. Il est remplacé en 1864 par Adrien Raffeneau de Lile.
Issu d’une famille de cultivateurs d’Annœullin devenus fabricants d’huile et commerçants en épices à Lille, Crespel doit, après le décès de son père en 1794 et celui de sa sœur aînée, arrêter ses études pour aider sa mère. Il sillonne la campagne pour écouler le sucre colonial devenu très cher. À vingt ans, il épouse la fille d’un marchand de charbon de Béthune, Adélaïde-Alexandrine-Josèphe Dellisse (née en 1787). Avec son frère et l’épouse de celui-ci, à quatre, ils reprennent la maison de commerce. Crespel-Dellisse s’installe à Béthune et, comme le sucre colonial est devenu rare parce que trop cher, il entreprend le commerce de grains et d’eau-de-vie. Des chimistes allemands avaient découvert la présence de sucre dans la betterave sans deviner la valeur industrielle de cette découverte. Encouragé par Napoléon 1er qui a instauré le blocus continental (1806), Crespel-Dellisse, chercheur intuitif et persévérant se met, en 1809, à faire des essais avec un de ses parents. Dès 1811, ils cultivent des betteraves et, avec des machines inventées par Crespel-Dellise, ils montent une fabrique à Lille et produisent les premiers sucres bruts, sans toutefois obtenir la cristallisation quasi parfaite d’un concurrent, M. Delessert à Passy, à qui Napoléon 1er rend hommage par une visite et la remise de la Légion d’honneur.
En 1814, avec la fin du blocus continental qui rend de nouveau accessible le sucre colonial, on oublie le sucre de betterave. Cependant, en 1815, bien qu’on le presse de renoncer et qu’il soit à moitié ruiné, Crespel-Dellisse décide de continuer seul. Il s’installe à Arras, rue des Promenades dans l’ancien refuge de l’abbaye d’Arrouaise, mais il est obligé de louer des terres puisque les agriculteurs, convaincus que la betterave épuise le sol, refusent de se lancer dans cette culture. Il essuie d’abord des revers et il faut attendre 1818 pour que, soutenu par le préfet du Pas-de-Calais, M. Siméon, il connaisse enfin le succès. Dans le même temps, l’Académie d’Arras qui venait de se reconstituer et qui désire encourager l’industrie, reçoit Crespel-Dellisse ainsi qu’Alexis Hallette, créateur d’ateliers métallurgiques. Reconnu de différents côtés (visite du duc d’Angoulême, suivie en 1827 par celle de Charles X, lequel ne veut consommer que du sucre de betterave pendant son séjour à Arras), il obtient le premier prix décerné par la Société d’encouragement de l’industrie nationale. Crespel-Dellisse est reconnu comme un bienfaiteur : il a donné à l’agriculture une production supplémentaire, a augmenté les ressources en nourriture pour le bétail, favorisé l’assolement et contribué à la suppression de la jachère. Il est à noter que Crespel-Dellisse n’a jamais conservé jalousement pour lui ses inventions et a laissé ceux qui le voulaient, Français ou étrangers, l’imiter ou le copier. Durant ces années, la production de sucre augmente, de même que celle du pays. Cependant lorsqu’éclate la révolution de 1830, Crespel-Dellisse parvient, contrairement à beaucoup d’autres à traverser la crise commerciale. Par la suite, il tente de lutter contre la concurrence du sucre « exotique » (issu de la canne) et la menace d’une taxation plus sévère du sucre « indigène » (le sucre de betteraves). En vain, puisqu’en 1837 le sucre indigène est fortement taxé, ce qui provoque entre 1838 et 1840 la ruine de beaucoup de fabricants et de grosses difficultés financières pour Crespel-Dellisse. En 1842, Louis-Napoléon a beau, dans son essai, Analyse de la question des sucres, conclure que la prospérité de la France est opposée à la destruction de la betterave, le gouvernement n’en augmente pas moins les taxes. Et bientôt, un nouveau coup encore plus fort est porté à l’industrie sucrière par les événements de 1848. Cependant le perfectionnement des moyens de fabrication dû aux machines produites dans ses propres ateliers avec l’aide d’Alexis Hallette et l’accroissement de la production atténuent ces difficultés. Ainsi, là où hommes et chevaux étaient nécessaires, la machine à vapeur est désormais utilisée ; pour épurer le jus de betterave la chaux a remplacé l’acide sulfurique. D’autres améliorations permettent d’obtenir un sucre plus blanc, d’augmenter la matière sucrée extraite des betteraves, de réaliser des économies de charbon et de raccourcir les délais : une betterave râpée le matin peut être transformée en sucre le soir même.
Mais bientôt il doit faire face à de nouvelles difficultés. Aux augmentations des impôts s’ajoutent des procès intentés contre lui par des mécaniciens réclamant la paternité des perfectionnements apportés à des machines. Ces procès ont des issues contradictoires et coûteuses. Malgré l’aide de son fils Tiburce chargé des travaux agricoles, la tâche est immense : il possède huit fabriques correspondant à 2274 hectares de terre répartis entre quatre départements : Pas-de-Calais, Aisne, Somme et Oise. En 1849, il est à son apogée : il est alors le plus important fabricant de sucre en Europe. Trois commissaires envoyés à Arras par la Société centrale d’Agriculture de France se félicitent des perfectionnements incessants apportés à la production de sucre et de viande de boucherie provenant d’animaux nourris avec les produits des fermes et avec les résidus de la fabrication de sucre. Cependant son apogée est aussi le moment où va commencer à s’écrouler « cette grande œuvre industrielle si péniblement édifiée pendant un demi-siècle ». Fin 1857, crise financière, baisse du prix du sucre et intransigeance des contributions indirectes aidant, il doit faire face à de grandes difficultés. S’ensuivent saisies, mise en liquidation, vente de plusieurs fabriques dans des conditions déplorables. Malgré la bienveillance de l’Empereur, la chute devient inévitable et est accélérée par deux malheurs familiaux : en 1860, la mort de son fils unique, collaborateur indispensable, et, en 1862, la mort de son épouse. Dans ces circonstances, le marquis d’Havrincourt, député, chambellan de l’empereur et lui-même fabricant de sucre signale à Napoléon III l’état de détresse de Crespel-Dellisse et obtient le versement d’une pension viagère au titre de récompense nationale. Au moment où, ruiné, il quitte Arras, il donne sa démission de l’Académie (11 mai 1864), mais celle-ci lui décerne le titre de membre honoraire, geste auquel il est très sensible. Il se retire à Neuilly, plein de santé, mais meurt brutalement du choléra le 21 novembre 1865. Il est inhumé à Arras après un service funèbre célébré à la cathédrale.
Ainsi disparaît celui qui a, comme l’indique le président de l’Académie, M. Laroche, découvert et vivifié l’une des plus précieuses ressources de la France, démontré la possibilité d’une union étroite entre industrie et agriculture et permis ainsi de donner à toutes les classes de la société des moyens d’existence. Le président salue aussi le désintéressement, la générosité, le dévouement, le courage dans l’adversité de ce pionnier. Par la suite, en 1866, la ville d’Arras donne le nom de Crespel à un boulevard qui vient d’être créé et qui a pour point de départ son hôtel et son ancienne fabrique. En 1867, la ville d’Arras et les fabricants de sucre, suite à une souscription érigent un monument coiffé d’un buste en bronze sculpté par Léon Cugnot, aujourd’hui visible sur le boulevard Crespel, à l’extrémité du Cours Verdun.
Membre Conseil municipal d’Arras en 1846, de la Chambre de commerce créée en 1837, du Conseil d’arrondissement et de nombreuses sociétés d’agriculture, Crespel-Delisse collectionne les médailles : Grande médaille d’or de la Société d’encouragement pour l'industrie nationale, remise par Jean-Antoine Chaptal le 27 avril 1825, Médaille d’or de la Société d’agriculture en 1828, Diplôme d'honneur de l'Académie nationale agricole en1863,
Chevalier de la Légion d'honneur en 1831.
Sources
« Crespel-Delisse », 100 figures du Pas-de-Calais de 1790 à 2000, Coll. Les Échos du Pas-de-Calais, 2001, p.52 et 53.
HUBSCHER Ronald H., « L'Agriculture et la Société rurale dans le Pas-de-Calais du XIXe siècle à 1914 », Mémoire de la Commission départementale des Monuments historiques du Pas-de-Calais, t. XX, 1980, 2 vol.
CHAVANON Jules (dir), Le Pas-de-Calais au XIXe siècle, notices rédigées à la demande du conseil général pour servir à l'histoire de ce département pendant le XIXe siècle. t. III, Les Industries, Arras, 1899, p.56 à 66.
PARENTY Auguste, « Notice sur M. Crespel-Dellisse fondateur de la sucrerie indigène », Mémoires de l’Académie d’Arras, 2e série, t. II (1868), p. 201 à 314.
RAFFENEAU DE LILE Adrien François Auguste, « Discours de réception le 27 juillet 1865 », Mémoires de l’Académie d’Arras, 1ère série, t. XXXVIII (1866), p. 45-56.
LAROCHE Antoine, « Réponse au discours de réception de M. Raffeneau de Lile », Mémoires de l’Académie d’Arras, 1ère série, t. XXXVIII (1866), p. 57-68
LAROCHE Antoine, « Paroles prononcées sur la tombe de M. Crespel », Mémoires de l’Académie d’Arras, 1ère série, t. XXXVIII (1866), p. 68-71.
AYMAR-BRESSION Pierre, L'industrie sucrière indigène et son véritable fondateur, 1864.
PIERRON Désiré, « Mémoire sur les améliorations dont la culture du Pas-de-Calais serait susceptible », Mémoires de l’Académie d’Arras, 1ère série, t. VII (1824), p.141 à 180.
BURDET, « Rapport sur la fabrique de sucre de betteraves de M. Cresel-Delisse », Mémoires de l’Académie d’Arras, 1ère série, t. Ier (1818), p. 125-189.
Agnès et Gérard Devulder